Le Collectif Démocratie, éthique et société présente ses premières observations à propos du projet de loi discuté à l’Assemblée nationale depuis le 27 mai 2024.

1. Si le projet de loi discuté au parlement n’a pas été en mesure de prévenir des interprétions extensives des principes et des procédures qu’il ambitionnait d’affirmer et de défendre, est-il recevable dans sa rédaction actuelle ?
L’absence de garanties procédurales dans le projet de loi doit être soulignée : les droits fondamentaux de la personne ne sont pas effectifs sans disposer des capacités de les respecter et d’une attention portée à la protection de la personne vulnérable ou plus généralement aux situations de vulnérabilité provoquées par une loi qui renoncerait à en tenir compte.

2. Était-ce la stratégie du gouvernement que d’être observateur de la réécriture du projet de loi, dans le cadre de la commission spéciale, en des termes et avec des amendements ayant des conséquences telles que la démonstration serait faite que le texte présenté en Conseil des ministres le 10 avril soutenait une approche juste, modérée et pertinente témoignant d’un souci d’équilibre qu’il conviendrait de rétablir ?

3. Les ambiguïtés dans l’usage de termes allusifs et imprécis pour dissimuler la réalité de l’aide à mourir sous forme d’euthanasie ou de suicide assisté, la confusion dans le recours au concept d’accompagnement pour évoquer à la fois les missions des soins palliatifs et les pratiques de l’aide active à mourir, n’expliquent-elles pas que par manque de clarté ou par volonté de se détourner des enjeux de fond, certains parlementaires se soient considérés légitimés à s’exonérer de tout cadre préétabli, reprenant dans leurs amendements les conclusions tirées de nombreuses propositions de loi précédentes favorables à l’aide à mourir (dont la plus récente, du 1er avril 2021, donnant le droit à une fin de vie libre et choisie) ?

4. L’unanimisme des discours et des pétitions de principe favorables aux soins palliatifs justifie une analyse critique. Est-ce une reconnaissance informée et véritable de la valeur et de la signification des soins palliatifs dans leurs missions et leurs fonctions auprès de la personne en fin de vie et de ses proches ? Ou est-ce une caution requise afin de rendre acceptable le libre-choix de l’aide à mourir, en quelque sorte alternatif alors qu’il s’agit d’approches antagonistes et en aucun cas complémentaires ?
Il n’est pas acquis que le « droit opposable » aux soins palliatifs ne soit invoqué que pour rassurer ceux qui doutent de l’effectivité d’un accès universel à une pratique humaniste du soin qui sollicite un esprit d’engagement dans un contexte social favorable. Cela d’autant plus que la loi érigera les normes de l’aide à mourir qui relèvera d’un « droit opposable » plus accessible en termes de dispositifs et de moyens que les soins d’accompagnement nécessitant des compétences et des moyens qui aujourd’hui s’avèrent carentiels.
La perspective de 10 ans pour parvenir à l’accès universel aux soins palliatifs ne repose que sur une intention, alors qu’en pratique dès 2025 l’aide active à mourir devrait être aisément mise en place au plan national, pour autant que des professionnels de santé en nombre suffisant s’y forment et en assument la fonction.

5. Les approches humaines et sociales de la fin de vie ne concernent pas seulement le champ médical et les conditions d’intervention des soignants dans le cadre des soins palliatifs ou de l’aide à mourir. Elles relèvent tout d’abord d’une conscience politique et d’exigences de solidarités qu’il nous faut promouvoir et partager au sein de notre démocratie.
Il convient d’identifier les réalités complexes de la maladie chronique, des handicaps, des pertes d’autonomie et des situations d’isolement afin de proposer un autre choix/modèle humaniste de société
en capacité de s’opposer aux logiques et aux mentalités qui, pour de nombreuses raisons (notamment d’ordre socio-économique), inciteraient à se désinvestir de nos responsabilités sociétales à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité, notamment s’agissant des personnes vivant la précarité économique et les dépendances en particulier liées aux handicaps et au vieillissement.

6. En dépit de nombreux débats dans l’espace public depuis l’annonce présidentielle d’une réforme de la loi sur la fin de vie le 13 septembre 2022, qu’en est-il de la connaissance effective des règles en vigueur dans l’approche médicale de la fin de vie (lois de 1999, 2002, 2005, 2016), y compris parmi les professionnels de santé et du médico-social ?
Nos concitoyens ont-ils conscience de leurs responsabilités collectives auprès de la personne qui ne guérira pas, vivant parfois un mourir sur un long terme en aspirant à être protégée de toute forme d’indignité et de relégations sociales ? Elles ne sauraient se limiter à l’adhésion à un projet de loi proposant des dispositifs médico-techniques alors que la mobilisation des solidarités humaines, tout particulièrement au service des personnes les plus vulnérables, relève d’un devoir d’assistance démocratique du point de vue des conditions de leur vie en société plus que des procédures de leur mort médicalisée.

© Georges Poncet