Prévenir toute forme de rupture d’un lien social fragilisé
La loi légalisant une mort provoquée en France commence son parcours parlementaire. Que l’on soit favorable ou défavorable à cette évolution, il nous faut poser un constat clair : au-delà de la transgression de l’interdit de donner la mort qui est en soi un sujet essentiel, le projet de loi ouvre la porte, dès sa première lecture en commission spéciale à l’Assemblée nationale, à des interprétations et des extensions extrêmes. Il démontre publiquement ses conséquences invraisemblables, jusqu’à présent dissimulées par les euphémismes langagiers, l’inanité des procédures d’encadrement proposées et les promesses d’une retenue qui n’est d’ores et déjà pas tenable. Cette rupture anthropologique abolit tout cadre éthique, tout principe préservant nos valeurs fondamentales.
Plus encore semblent d’emblée contestées et insoutenables les résolutions du Président de la République pour permettre de nouvelles approches de l’engagement de la société et donc de chacun d’entre nous, auprès de la personne malade en fin de vie, soucieuses du respect de sa dignité, de son intégrité, de ses droits et du bien commun.
Le constat est peu contestable. Nos valeurs communes, le bien public, vivre ensemble, ce qui fait société, fraternité mais aussi la confiance dans l’accompagnement jusqu’au bout des personnes devenues les plus vulnérables, sont autant de repères gravement menacés par la nouvelle rédaction du projet de loi. Au moment où ce qu’expriment profondément nos concitoyens est un besoin urgent, vital, d’être entendus dans ce qu’ils vivent au quotidien, lorsqu’ils sont confrontés, pour eux-mêmes ou pour ceux qui comptent pour eux, à la fin de la vie, les réponses ne peuvent être réduites à une ouverture accélérée de procédures sans retour ni recours, dès lors qu’un nombre croissant de soins primaires ne sont plus accessibles. Notre exigence commune est d’en avoir pleinement conscience pour prévenir toute forme de rupture d’un lien social fragilisé.
Le projet de loi propose des pratiques de l’aide active au suicide assisté et à l’euthanasie, sans les nommer. En l’état actuel du texte, la France sera considérée comme l’exception (et non comme le modèle) validant une loi permissive qui bouleversera profondément le sens des pratiques médicales, les relations entre la personne malade ou en situation de dépendance et celui qui la soigne ou l’accompagne, mais également ses proches.
© Georges Poncet (georges-poncet.fr)
Le suicide assisté comme l’euthanasie ne relèvent pas de la définition et de l’acception d’un acte de soin
Les députés de la commission spéciale ont adopté des amendements qui accentuent les vulnérabilités de la personne âgée ou malade, atteinte de handicap, de poly-pathologies ou en situation de dépendance, qui, sans être en fin de vie ou que des critères sérieux soient posés sur son état de santé, pourrait solliciter un soignant ou même un proche pour la faire mourir. Aucun dispositif rigoureux et fiable (pire un flou procédural se met en place avec les amendements) n’est envisagé pour accueillir, comprendre et évaluer les motivations de la demande de mort, pour tenir compte des facteurs sociaux, financiers, psychologiques ou médicaux qui peuvent la déterminer et pour prendre en compte les temporalités de la démarche de la personne malade. Un médecin sera seul à décider, dans des délais extrêmement rapides, et toute attention manifestée à la personne pour l’inciter à surseoir ou à renoncer à une aide médicale à mourir est menacée d’une poursuite judiciaire pour délit d’entrave. L’acte létal est susceptible d’intervenir indifféremment en tout lieu, y compris dans des établissements contraints à le rendre possible même si les soignants s’y opposent. La clause de conscience individuelle est refusée aux pharmaciens et aucune clause de conscience collective d’établissement n’est prévue. A contrario, rien n’est fait pour prendre en compte un délit d’incitation.
Les soins palliatifs ont pour vocation d’accompagner la personne dans sa vie jusqu’à sa mort, de faire disparaître la souffrance, pas le souffrant. Les soins d’accompagnement promus par le texte ne sont pas assimilables ou complémentaires de l’aide active à mourir, évoquée comme une alternative ou un aboutissement de l’accompagnement dans le projet de loi. Elle est d’une autre nature, que ce texte s’obstine à ne pas reconnaître. Cette confusion fragilise la démarche palliative et brouille dans un contexte de crise de notre système de santé le sens des valeurs soignantes, en dépit d’annonces gouvernementales d’un soutien financier au cours des dix prochaines années. C’est dire que le projet de loi, rédigé en dissimulant la réalité des finalités d’un acte létal intentionnel et en confondant soins de la mort avec soins de la vie, contredit également l’élaboration exemplaire de nos lois de 2005 et de 2016, considérées au plan international comme un ‘’modèle français’’ et faisant consensus. Le suicide assisté comme l’euthanasie ne relèvent pas de la définition et de l’acception d’un acte de soin.
Notre devoir de vigilance et de clarification du débat public
Les circonstances nous imposent un devoir de vigilance et de clarification du débat public portant sur l’aide à mourir. Comme citoyens, soucieux d’assumer notre part de responsabilité et de nous opposer utilement et sans concessions aux dérives provoquées par la rédaction actuelle du projet de loi, nous avons constitué le Collectif Démocratie, éthique et solidarités. Nous constatons qu’en l’état actuel, l’aide à mourir conçue par ce texte expose les plus vulnérables d’entre nous à des risques réels d’injustices, de violences, de maltraitances, d’abus d’influence ou encore d’abandon, contraires aux droits fondamentaux que tout État démocratique doit garantir. Elle ouvre la voie à des pressions psychologiques et économiques qu’elle n’encadre pas, les seules dérives passibles de poursuites judiciaires concernant les médecins qui refuseraient le geste létal pour des motifs éthiques et déontologiques. Elle a également pour effet de remettre en cause les valeurs et le sens du soin, de la relation à l’autre, de nos solidarités humaines et sociales, indispensables pour faire face aux défis existentiels les plus délicats, auxquels nous confrontent l’approche de la mort et les souffrances qui l’accompagnent.