Le Collectif Démocratie, éthique et société présente ses deuxièmes observations à propos du projet de loi discuté à l’Assemblée nationale depuis le 27 mai 2024.
1. L’exercice du médecin ne saurait être un moyen à libre disposition pour exécuter ce qui est exigé de sa part, en contradiction avec le sens, le cadre et les fins de sa fonction.
« Il ne saurait être question de réduire l’acte médical à un acte technique procédural. »
La clause de conscience, applicable dans des circonstances qui la justifieraient, ne constitue pas en soi un rempart au détournement d’une mission d’accompagnement antagoniste de l’aide active à faire mourir. De fait, cette possibilité reconnue au médecin donne à penser qu’un confrère considérerait l’euthanasie comme un acte soignant légitime : cette position doit être confrontée aux principes de l’éthique médicale et, si nécessaire, en modifier alors l’énoncé. Cette orientation semble envisagée par le législateur, dès lors que le droit à l’aide à mourir serait transposé dans le code de la santé publique. Qu’en sera-t-il dans ces conditions de la relation thérapeutique, de la représentation d’une médecine alternativement – dans un cadre de fait, en l’état actuel de la rédaction du texte de loi peu contraignant – en capacité d’aider à lutter contre une maladie, d’accompagner avec soin la personne, ou au contraire de justifier et de provoquer médicalement sa mort en dehors de toute circonstance assimilable à une forme d’obstination déraisonnable ?
« L’inquiétude est que l’on puisse limiter encore davantage l’accès aux soins des personnes en ayant le plus grand besoin et qui en sont déjà trop exclues, cela au nom de justifications prétendument éthiques. »
La clause de conscience devrait pouvoir être invoquée au sein d’établissements sanitaires ou médico-sociaux qui partagent et défendent des valeurs d’engagement et d’accompagnement opposées à l’aide active à faire mourir. De ce point de vue, les conséquences du projet de loi en termes de fragilisation des équipes, ne sont pas prises en compte. Le « délit d’entrave » à l’aide à mourir peut, de ce point de vue, favoriser une logique médico-légale imposant au médecin des procédures en s’exonérant de tout discernement et de tout temps de délibération.
« La volonté immédiate d’une personne entraverait toute altérité, toute discussion, assignant le professionnel de santé à la fonction de pourvoyeur de la dose létale. Qu’en est-il d’une affirmation de la liberté qui réfute la réciprocité ne serait-ce que d’une parole avec la personne sollicitée précisément pour abolir la liberté de l’autre ? »
Cette forme de déresponsabilisation remet en cause la valeur de la décision médicale, le lien de conscience avec la personne qui, en l’occurrence, pourrait justifier une réanimation à la suite d’une tentative de suicide, ou bénéficier d’un temps de dialogue approfondi permettant peut-être de trouver une autre voie d’issue à ses souffrances que la mort anticipée.
Le « délit d’incitation au suicide médicalement assisté » est une composante refoulée du processus législatif qui ne saurait pourtant être exclue du débat dès lors que la politique nationale de prévention du suicide s’en trouve contestée et que la position des psychiatres accompagnant les personnes suicidaires est dès à présent fragilisée par la relativisation du caractère possiblement pathologique de l’acte suicidaire.
« Un danger évident à ne pas négliger est que la résignation du médecin à admettre comme choix raisonnable l’assistance à mourir ait comme effet collatéral la résignation de la personne à solliciter l’interruption de ce qu’elle vit ou souffre. »
Le droit à la « liberté de mourir selon son choix » ne provoquera-t-il pas une menace du fait de la rupture de repères stricts, les circonstances pouvant donner lieu à des interprétations et à des adaptations contextuelles qui estomperont les limites et les interdits (comme on le constate dans les pays ayant déjà légiféré) au point de ne plus saisir ce qui est de l’ordre d’une transgression ainsi révoquée ?
2. Une interrogation est justifiée concernant la signification même d’une législation visant la cessation volontaire d’une vie afin de protéger la personne des souffrances qu’elle ne peut et ne veut pas endurer.
Est-ce à l’État et au législateur d’intervenir dans un domaine qui relève de la sphère privée et de parcours de vie individuels, pour ériger un droit à la mort dont on affirme qu’il s’avère complexe d’en fixer les conditions d’applicabilité, dès lors qu’on serait réticent à ce qu’il incarne un « modèle », une norme du bien mourir en société ?
3. Concernant la liberté de choix, l’autonomie de la personne qui sollicite son droit à mourir auprès d’un soignant qui procurera le moyen létal ou d’un de ses proches, peut-on considérer que dans le contexte où s’exprime sa demande le concept de consentement soit formellement recevable comme cela serait le cas en ce qui concerne une personne en bonne santé encore à distance d’une pensée de sa mort ? La différence est évidente entre la rédaction de directives anticipées et l’expression d’une demande de mort en situation de souffrances physique, psychiques, existentielles ou d’une toute autre nature.
À ce propos, il semble irrecevable que l’accompagnement d’un psychiatre ou d’un psychologue ne soit pas requis dans la réception, le suivi et la délibération collégiale d’une procédure d’aide à mourir (cette position n’assimilant en rien a priori une demande délibérée d’acte létal à une possible souffrance psychique). Y compris en intégrant l’écoute et si nécessaire le suivi des plus proches de la personne, parties-prenantes directes de sa décision, y compris du point de vue de ses conséquences en termes de culpabilité et de deuil difficile, voire pathologique après son décès.
« Comme psychiatres, nous ne sommes pas seuls à repérer des troubles psychiques de plus en plus fréquents au sein de la population française : ils entraînent des souffrances psychiques et physiques dont les conséquences sont évidentes dans la perception du débat sur la fin de vie. »
La temporalité dans le processus décisionnel de la personne et des professionnels consultés pour avis dans un cadre collégial, semble un aspect déterminant. Quelles sont les procédures envisagées à cet égard pour respecter cette temporalité indispensable au discernement mais également à la possibilité de recourir, ne serait-ce qu’à titre transitoire, aux modalités de traitements et d’un accompagnement susceptibles d’atténuer ou de supprimer les souffrances plutôt que l’existence de la personne ?
Les conditions de l’accueil, de l’écoute et donc d’une relation personnelle, suivie dans le temps, dès l’annonce de la maladie grave ou d’une complication de toute nature, s’avèrent un enjeu éthique et professionnel déterminant à prendre en compte.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire des approximations qui, faute de déterminer l’échéance de la mort annoncée (ce qui en soi justifierait déjà une démarche éthique à préciser), retiendraient la notion de maladie grave et incurable pour légitimer sans autre justification incontestable l’aide à mourir.
À ce propos, l’approche péjorative publique habituelle des personnes vivant l’évolution d’une SLA ne restitue en rien la réalité de leur vécu et de leurs choix. Elles ne peuvent être assimilées de manière uniforme à des partisans de l’aide active à mourir, et justifient d’une approche attentive à la qualité de leur vie et aux choix concertés en fin de vie précisément pour leur éviter toute contrainte à une décision par défaut. Le risque actuel est de dévaloriser le sens de l’existence d’une personne vivant avec une SLA et de ses proches auprès d’elle, mais aussi de l’intervention des professionnels, y compris ceux investis dans le champ de la recherche de traitements innovants.
« Certaines personnes me disent clairement savoir qu’elles vont mourir, qu’elles souhaitent que l’on puisse en parler sans pour autant qu’on envisage de provoquer une mort anticipée. Il en est même qui me confient qu’elles ne voudraient pas être prises au mot en cas de demande d’euthanasie, qu’il faut comprendre ce que cet appel signifie d’une souffrance à apaiser. »
4. Le Collectif Démocratie, éthique et vulnérabilités s’est constitué avec comme objectif de faire valoir les valeurs du vivre ensemble dans un contexte qui justifie de mieux les affirmer, les donner à comprendre et les partager, si nécessaire de les défendre.
Le droit des personnes souvent évoqué de manière discutable et réductrice dans le débat public relatif à l’évolution d’une législation favorable à l’aide active à mourir, représente notre première préoccupation. Il s’agit d’identifier les risques de vulnérabilités accrues auxquels une loi extensive, sans réels encadrements efficients, exposerait la personne et de contribuer à l’argumentation justifiant de préserver l’exigence de respect et de justice à son égard.
S’il convient de parvenir à un texte de loi « équilibré », quels principes, critères et modalités pratiques (y compris d’encadrements et de contrôle) permettraient d’y parvenir ?