Le Collectif Démocratie, éthique et société présente ses troisièmes observations à propos du projet de loi discuté à l’Assemblée nationale depuis le 27 mai 2024.

À la suite des délibérations de l’Assemblée nationale à l’issue de la 3ème séance du 6 juin 2024, la rédaction du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie a subi des évolutions qui fixent progressivement le cadre du texte.

La dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2923 interrompt le parcours parlementaire du projet de loi.

1. Quelques observations générales avant de reprendre certains points du texte de loi

  • La discussion parlementaire révèle que les « équilibres » présentés comme autant de barrières pour encadrer l’accès à « l’aide à mourir » ne sont pas tenables soit parce que le droit ne parvient pas à dire ce qui est souhaité soit en raison du vote d’amendements tendant à élargir les conditions d’accès.

  • Les « lignes rouges » n’étant pas tenues, le projet de loi initialement destiné aux seules personnes en fin de vie évolue vers l’accompagnement des malades qui souhaitent être reconnus dans le choix de pouvoir s’administrer eux-mêmes le produit létal ou de bénéficier du geste létal dans un contexte où ils estimeraient leur existence incompatible avec ce à quoi ils sont attachés. L’article 6 du projet de loi tel qu’il a été adopté définit comme condition d’accès à l’aide à mourir (point 3) : « Être atteint[e] d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic en phase avancée ou terminale. » Entre « affection grave » et « pronostic vital [engagé] en phase avancée », la marge d’appréciation est telle que pour la personne malade elle-même qui ne se serait jusqu’à présent pas considérée comme relevant d’une délibération relative à l’éventualité de sa mort, comme pour son médecin lui permettant de bénéficier des traitements appropriés à son état de santé, la zone grise ainsi définie accentue les vulnérabilités.

  • Dans une première analyse des débats qui ont débuté le 27 mai, il apparaît que la volonté de légaliser à tout prix l’aide à mourir sous forme de suicide assisté ou d’euthanasie surpasse l’exigence de prudence et de nuance qui devrait prévaloir et accompagner la rédaction du texte de loi, au point que certains députés ont exprimé leur désenchantement et renoncé à participer aux prochaines séances.

  • Le constat que seuls 75 députés ont voté l’article 6 du projet de loi déterminant les conditions d’accès de « l’aide à mourir » interpelle. Il s’agit certes de la discussion article par article qui ne préjuge pas du nombre de députés qui voteront le texte final. Il reste que l’Assemblée nationale compte 577 députés et qu’on est en droit de se demander pourquoi tant d’entre eux croient possible d’être absents sur un texte d’une telle importance au regard de ses enjeux humains, éthiques et sociétaux.

Le Collectif Démocratie, éthique et solidarités retient du texte consolidé le 7 juin des éléments de précision relatifs aux soins palliatifs favorables aux positions rétives à leur assimilation à l’aide à mourir, mais également la persistance d’imprécisions qu’explique soit l’incapacité à obtenir un consensus sérieux, soit la stratégie de se détourner des enjeux effectifs et des conséquences de cette approche nationale de l’aide à mourir.

2. Les soins palliatifs semblent désormais reconnus dans leur spécificité, distincts de « l’aide à mourir »

Dans la version initiale du projet de loi, le titre Ier se fixait l’objectif de « renforcer les soins d’accompagnement et les droits des malades ». La version consolidée marque certes un engagement plus explicite et résolu : « garantir les soins palliatifs et renforcer les soins d’accompagnement et les droits des malades partout sur le territoire ».

Il reste qu’il faut redire à quel point il est profondément discutable que le gouvernement ait décidé de rassembler dans un même texte soins palliatifs et aide à mourir, des approches du soin qui s’avèrent antagonistes sur le fond comme du point de vue de leurs pratiques. Il n’y a ni alternative ni continuité entre des soins relationnels soucieux de la qualité de vie de la personne et du maintien de son espace relationnel et une procédure médicalisée à finalité intentionnellement létale. Les soins palliatifs sont des soins continus, engagés en concertation avec la personne et ses proches, jusqu’à la mort, dans le cadre d’un projet respectueux de ses choix de vie : « Dans le respect de la volonté de la personne, ils anticipent, évaluent et procurent, dès l’annonce de la maladie puis de façon renouvelée en fonction de l’évolution de la situation de la personne. […] »

Les soins palliatifs ne sont donc en rien assimilables à la conception de « l’aide à mourir » transposée dans le dispositif présenté dans le titre II.

La stratégie décennale des soins palliatifs est accompagnée d’une loi de programmation pluriannuelle qui devrait en assurer l’effectivité d’ici 2025. Il s’agit d’une intention gouvernementale qui n’a pas convaincu les parlementaires.

L’article 2 évoque les missions des maisons d’accompagnement dont il est précisé que leur dénomination est désormais « maisons d’accompagnement de soins palliatifs ». Là également les équivoques doivent être levées, alors que le projet de loi fixe que « l’aide à mourir » se pratiquerait dans les établissements du sanitaire et du médico-social.

3. Des précisions dans les conditions d’expression des choix de la personne et dans le processus de décision collégiale

L’article 3 présente le plan personnalisé d’accompagnement, une démarche considérée comme essentielle afin d’établir un projet élaboré dans le cadre d’une concertation confiante entre la personne et des interlocuteurs contribuant à éclairer des réflexions en vue de l’expression de ses choix immédiats et prospectifs. Ce dispositif paraît plus pertinent et moins formaliste que la rédaction de directives anticipées dont on a compris les difficultés que pourrait susciter en certaines circonstances leur caractère opposable. « Dès l’annonce du diagnostic d’une affection grave, le médecin ou un professionnel de santé de l’équipe de soins propose au patient, à l’issue de discussions au cours desquelles celui-ci peut être assisté de personnes de son choix, la formalisation par écrit ou par tout autre moyen compatible avec son état d’un plan personnalisé d’accompagnement. »

L’article 4 bis A entend répondre à une inquiétude fondée relative d’une part aux conditions du processus décisionnel collégial « incluant l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire, qui prend la forme d’une concertation notamment entre le médecin chargé du patient, son médecin traitant si elle en dispose, le médecin référent de la structure médico-sociale qui l’accompagne le cas échéant et un professionnel de l’équipe qui l’accompagne au quotidien à domicile ou en établissement. […] ». D’autre part à la prise en compte des difficultés spécifiques à la « personne majeure [est] dans l’impossibilité partielle ou totale de s’exprimer. Mais il semble essentiel d’établir une traçabilité des modalités de la procédure collégiale, notamment en intégrant de manière effective une concertation avec la personne demandant une aide à mourir, surlignant l’importance de l’intervention d’un psychiatre dans le contexte médical que le justifie.

4. « Aide à mourir »

Le Collectif Démocratie, éthique et solidarités présentera ses observations détaillées lorsque le titre II sera finalisé dans le cadre d’un vote.

L’article 5 précise que « L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 1111-12-2 à L. 1111-12-7, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin. […] ». Il s’avère toujours aussi regrettable de ne pas recourir à l’usage des termes explicites de suicide assisté ou d’euthanasie, qui, on le constate, sont employés couramment au cours des débats parlementaires par référence notamment aux législations adoptées à l’étranger. Cette obstination du gouvernement et des rapporteurs du projet à ne pas vouloir nommer précisément l’acte létal tend à banaliser ce qui ne saurait l’être au regard des enjeux humains, éthiques et sociétaux que ladite « aide à mourir » soulève.

Dans sa rédaction initiale, le gouvernement avait prévu de soumettre l’accès à « l’aide à mourir » au pronostic vital engagé à « court ou moyen terme ». Or, à horizon 6 à 12 mois la littérature scientifique internationale atteste que les pronostics s’avèrent souvent erronés. En outre, la notion de « moyen terme » n’est pas définie par des critères médicaux. Jugeant ce critère trop restrictif, la commission spéciale l’avait remplacé par la notion « d’affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». Ce nouveau critère ouvrait l’accès à la mort provoquée à nombre de pathologies : le diabète, l’insuffisance cardiaque ou rénale, certains cancers à évolution lente. Le 6 juin, les parlementaires ont retenu que pour « accéder à l’aide à mourir », la personne doit « être atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ». La notion imprécise de « pronostic vital engagé » ne relève d’aucune détermination médicale formalisée. Les interprétations tirées de cet article de lois rendront difficile l’encadrement strict pourtant invoqué comme exigence supérieure. Pour la personne malade elle-même et ses proches, cette approximation risque d’accentuer leur vulnérabilité à la tentation du recours létal considérée comme de l’ordre d’une norme, voire d’une bonne pratique en situation de dilemmes décisionnels ou de pressions de différente nature avant même l’échéance de la mort.

Les députés ont choisi de revenir sur le texte de la commission spéciale qui précisait que la personne devait « présenter une souffrance physique, accompagnée éventuellement d’une souffrance psychologique ». Le texte voté reprend désormais sa version initiale : il faudra « présenter une souffrance physique ou psychologique qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas de traitement ou a choisi d’arrêter d’en recevoir. […] » Outre le caractère subjectif de l’évaluation de ce qui apparaît insupportable dans la maladie elle-même ou son vécu existentiel, il est évident que l’interprétation extensive de la notion de souffrance pourtant déterminante pour accéder à l’aide à mourir ne permet en rien de garantir un encadrement strict de l’application de la loi.

Certaines personnes souffrent de troubles psychiatriques non repérés, évalués et traités, ce qui fait craindre l’évolution rapide des pratiques favorables à l’aide à mourir uniquement pour motifs d’ordre psychiatrique. Une anorexie chronique fortement dénutrie, maladie grave incurable engageant le pronostic vital stade en phase avancée avec souffrance psychologique, relèvera, en l’état actuel du texte de loi, d’un suicide assisté ou d’une euthanasie. Il en serait de même pour une personne ayant des conséquences somatiques graves suite à une tentative de suicide dans le cadre d’une dépression chronique pharmaco-résistante.

Évolution notable, la réalisation de l’acte létal par un proche volontaire a été supprimée (à une voix près), contre l’avis du gouvernement. Une telle opposition de l’exécutif interroge, du fait des conséquences traumatiques évidentes liées à la pratique du geste létal par des proches.

Au cours des débats, plusieurs amendements de sagesse ou de précision, visant à renforcer la protection des personnes vulnérables ont été repoussés après double avis défavorable (de la commission et du gouvernement). À titre illustratif, la ministre chargée de la Santé s’est opposée au caractère écrit de la demande de mort provoquée, jugeant que cette formalité serait « discriminante pour les personnes ne sachant pas écrire ».

Par ailleurs, la notion de demande répétée a été également exclue, limitant la possibilité de mettre en lumière et d’accompagner l’ambivalence et l’instabilité des demandes de mort.


Les prochaines notes thématiques proposeront des analyses contributives à l’éclairage des aspects déterminants des évolutions susceptibles d’intervenir dans une nouvelle approche législative des choix décisionnels et des responsabilités engagées en fin de vie.

©Valérie Winckler